"être né quelque part, c'est toujours un hasard..."
La mère Castor a écrit un petit texte il y a quelques temps, où il est question de maison ancienne, d'armoires monumentales, de racines...
Moi je suis toujours touchée et à la fois gênée par ces histoires. Si l'on me demande d'où je suis, je réponds que je suis née en région parisienne, j'y ai vécu mon enfance et adolescence et puis je suis partie.
"- Alors t'es parisienne alors ?
Ben non, pas vraiment, plus de trente ans que je n'y vis plus, et je ne suis pas non plus de là où je vis actuellement...
"- Alors, t'es d'où ?
Je n'ai jamais été à l'aise avec cette question. Mes deux parents sont nés de l'autre côté de la méditerrannée, sur une terre qui n'était pas la leur, mais sur laquelle plusieurs générations étaient nées, avaient vécu, avaient aimé, étaient morts et enterrés.
Je vis actuellement au pays basque, un endroit où si l'on est "de Bidarray le haut", on ne dit pas qu'on vient d' "Ossès le bas"... Quand j'entends ce genre de conversation je repense toujours à la chanson de Brassens "c'est vrai qu'ils sont jolis tous ces petits villages..."
A Paris, mes parents ont changé (légèrement) de quartier depuis le temps de ma jeunesse. Bien-sûr je peux vous parler de la boulangerie "Delabesse", ou de l'épicier "Dumouchel" qui se trouvaient dans leur ancienne rue, (maintenant, il y gros à parier sur le fait qu'on trouverait à leurs palces des agences bancaires ou immobilières...), mais ce n'est pas ça qui peut m'aider à répondre à la question "t'es d'où ?".
La maison qui figure sur les photos plus haut se trouve dans les Pyrénées. Mes grands parents maternels sont enterrés dans le cimetière du village, je pense que mes parents ont prévu de les y rejoindre à leur mort.
La maison, elle était à une vieille cousine de ma grand-mère, qui, elle, y avait vécu. Mes grands parents, mes parents et mes frères et soeurs et moi n'y avons séjourné que pour des vacances. C'est une maison immense, avec des greniers, des galeries et des pièces glaciales l'hiver. On y trouve plusieurs armoires monumentales du genre de celles qu'évoque la mère castor dans son texte.
Mes parents ont 85 ans, ils ne sont pas en très bonne forme, nous sommes 6 enfants. En ce qui me concerne, je n'ai pas les moyens d'entretenir une batisse pareille.
Je n'en ai pas forcément envie non plus. J'ai assez souvent déménagé, ce qui incite à une certaine "légèreté mobilière". Je me suis rendue compte récemment que j'avais gardé un objet de chaque lieu que j'avais habité: des rideaux, un buffet trouvé dans un appenti, une théière, un tabouret ... Je suis plutôt du genre désordonnée, et je crains l'envahissement des objets, alors je m'en méfie, et comme je ne suis pas fan du ménage, j'évite les "attrappe poussière".
Je me souviens très bien de l'arrivée de mes grands parents en 64, ils sont venus habiter avec nous; j'étais très enfant, mais j'ai très vite compris qu'il y avait des choses dont on ne parlait pas ... Trop de choses laissées "là bas", trop de violences et d'espoirs perdus, des gens, des lieux, des odeurs que l'on ne retrouverait plus.
Comment auraient-ils pu nous expliquer, à nous leurs petits enfants "d'où ils étaient"? D'un pays où ils ne retourneraient jamais ? Un pays qu'ils ne nous montreraient jamais ? Et où nous n'habiterions jamais non plus? Un pays où leurs parents et grands parents avaient leurs tombes, mais où eux même ne seraient pas enterrés?
Ici au pays basque, les gens peuvent te dire où se situe La Maison de la famille, que des cousins sont partis aux Amériques, que certains en sont revenus, qu'ils sont allés à l'école dans tel ou tel quartier, que de "l'autre côté", "au sud" (comprendre le pays basque espagnol), les Intels sont des cousins aussi dans tel village etc ... Alors, même si on ne vit plus dans le village, ou dans le quartier, on sait d'où on est !
En 69 mes parents nous ont emmenées ma soeur et moi en vacances en Corse. (Je me souviens de l'année, parce que c'était en juillet et je vous jure que quand les astronautes ont marché sur la lune, j'ai vu, vraiment vu avec mes yeux d'enfant leur ombre sur la lune ronde dans le ciel!). Je revois encore ma mère sur le pont du navire, à l'arrivée sur l'île et qui fermait les yeux en se régalant des odeurs du maquis qui étaient tellement semblables à celles de "là bas".
C'est vrai, je ne peux pas répondre à la question "t'es d'où?", mais je m'en fous un peu. Je suis de là où la vie m'a menée. Menée et malmenée parfois, pas trop souvent heureusement.
C'est le lot de beaucoup de gens sur cette planète de ne pas pouvoir dire d'où ils sont, en tous cas de ne pas pouvoir donner une réponse simple à cette question.
C'est la complexité de la réponse à la question des origines qui fait la richesse du monde et peut être aussi une alternative forte à ce que les médias appellent "la montée des communautarismes".
Vive les métissages.